23/05/2024
« Répéter... comme si c'était la première fois… et voir ce qui se passe, donc ? » Nous devons l’idée de ce billet à l’un de mes sophronisants, musicien de profession, à qui cette consigne qui sonne comme un oxymore, plaît beaucoup. Il me fait cette remarque avec un immense sourire, dès sa première séance et complète ce résumé d’un tout aussi joyeux « ça va le faire ! »
En tant qu’artiste de spectacle vivant, la notion de répétition est familière à ce jeune homme. Il répète en solo, il répète en orchestre. Il fait répéter ses élèves aussi. Jouer et rejouer une œuvre pour la maîtriser techniquement et en améliorer l’interprétation constitue une discipline professionnelle qui a, depuis longtemps, infusé dans sa vie entière. Il y a cette compréhension commune aux artistes, sportifs et sportives ainsi qu’aux professionnels qui doivent acquérir les gestes justes de leur métier : la maîtrise s’atteint en s’exerçant. Mais pas n’importe comment. C'est là que le nouveau regard de la pratique phénoménologique vient à la rescousse et vous allez voir, l'expression peut vous paraître impressionnante mais c'est plutôt sympa. Alors comment procéder ?
Je vous en parlais dans mon billet sur la pratique personnelle comme clé de l’autonomie[1] : c’est vrai aussi des savoir-être qui nous permettent de créer une nouvelle relation à nous-même. En la matière, la sophrologie ne fait donc pas exception. Cependant, s’il s’agit bien de faire et refaire, pas question pour autant de procéder de façon machinale car le risque est alors d’ancrer un peu n’importe quoi, n’importe comment, là où il devrait y avoir un processus d’amélioration, d’affinage et un enrichissement de la conscience. Et c’est très vite fait.
La répétition automatique : ennui et stagnation
Répéter de façon automatique finit par être ennuyeux à mourir. C’est une des raisons pour lesquelles la répétition a souvent mauvaise presse. À se prendre pour un automate, on se construit une vie de machine. Sans âme, sans saveur. Répéter, pour soi ou pour les autres – ses enfants, ses élèves, ses subalternes aussi – devient alors profondément agaçant. D'autant qu'à procéder toujours de la même façon, on obtient les mêmes résultats. Un beau jour, ce mode de répétition stérile finit par ne plus faire sens. Nous voilà coincés dans Un jour sans fin[2]. Sans la Marmotte...
Si vous avez cette impression, c’est tant mieux ! Vous pouvez remercier votre insatisfaction : vous avez la confirmation que vous n’êtes pas un cyborg. Vous êtes doué.e de conscience et de sensibilité. Vous allez pouvoir remettre – ou commencer à mettre – de l’attention, de la présence dans ce que vous faites.
La répétition phénoménologique : une pratique de présence
C’est ici qu’intervient la pratique phénoménologique. Inspirée par la philosophie d'Edmund Husserl[3], la phénoménologie nous invite vraiment à observer et à décrire nos expériences comme si c’était la première fois, et voir ce qui se passe. Cette approche encourage une attention renouvelée, agrémentée d'une pointe de curiosité, et transformant la répétition en une opportunité d'exploration et de découverte.
Comment Répéter avec attention et présence ?
1. Observez attentivement. Chaque fois que vous répétez une action, aussi simple que boire un café ou aussi complexe que jouer un morceau de musique, observez la attentivement. Quels sont les sensations dans votre corps ? Peut-être aussi les perceptions sensorielles liées à votre environnement. Quelles sont vos émotions, vos pensées ? Abordez chaque répétition comme une nouvelle expérience et accueillez ce que cela vous fait vivre.
2. Suspendez vos jugements[4]. Mettez entre parenthèses vos habitudes de pensée ainsi que vos attentes. Celles des autres aussi, d'ailleurs. Si vous buvez un café, la pensée qui surgira le plus rapidement sera probablement quelque chose comme " oui, bon, c’est un café, quoi." A la place, le temps de quelques minutes, jouez à faire comme si vous débarquiez d’une autre dimension et découvriez cette boisson pour la première fois. Concentrez vous sur sa couleur dans votre tasse, les nuances des odeurs, des saveurs, textures et arômes en bouche. Dégustez, en somme.
3. Décrivez ce que cela vous fait vivre[5]. Prenez le temps de décrire votre expérience de manière détaillée. Laissez de côté toute tentative d’analyse. Notez ce que vous ressentez, voyez, entendez, et percevez. Cette description détaillée enrichit votre compréhension et votre appréciation de l'expérience. Il n’est même pas nécessaire de le faire par écrit. Vous pouvez prendre le temps de mettre des mots dessus, dans votre tête. Arrivé.e à ce point de l’expérience, vous avez réalisez une prise de conscience, directe, de première main.
4. Explorez l’intentionnalité. Ultime étape de cette pratique phénoménologique du quotidien : réfléchissez à la relation entre votre conscience et l’objet de votre observation. Autrement dit, à votre relation à votre expérience du moment. Comment une exploration attentive change-t-elle à chaque répétition ? Qu'est-ce qui produit cette variation ? Qu’est ce que cela change de réaliser une action peut-être ordinaire, peut-être connue, courte, avec l’intention de la redécouvrir comme si c’était la première fois ? Quels nouveaux aspects cela vous permet il de découvrir ?
Dans notre vie quotidienne comme dans la pratique de la sophrologie, adopter cette approche phénoménologique de la répétition offre plusieurs avantages :
En résumé, la proposition de répéter comme si c'était la première fois et voir ce qui se passe, bien que paradoxale, nous invite à réévaluer notre rapport à la répétition. En adoptant une approche phénoménologique, nous transformons les actions routinières en opportunités de découverte et d’enrichissement.
Que ce soit dans la pratique artistique, sportive, professionnelle ou dans la vie quotidienne, cette perspective nous permet de vivre chaque moment avec une attention renouvelée et une appréciation profonde. L'expérience, l'exploration passent en premier. Ce que l'on peut en penser vient après. Essayez et voyez comment votre perception de la réalité peut se transformer. Et vous savez quoi ? C’est la base fondamentale de la sophrologie !
[1] Pour aller plus loin sur le sujet : https://www.valeriegavaret.fr/BLOG.J/b43453a/La-pratique-personnelle-element-cle-de-l-autonomie
[2] Un Jour sans fin, film de Harold Ramis avec Bill Murray, 1993
[3] Edmund Husserl,1859-1938, philosophe et logicien, autrichien de naissance puis prussien, fondateur de la phénoménologie, qui eut une influence majeure sur l'ensemble de la philosophie du XXᵉ siècle.
[4] Pour aller plus loin sur le sujet: https://www.valeriegavaret.fr/BLOG.J/b52563a/Allez-chiche-suspendons-nos-jugements-
[5] Pour aller plus loin sur le sujet : https://www.valeriegavaret.fr/BLOG.J/b41305a/Vous-avez-dit-phenodescription-
Photo : Engin Akyurt
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